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passeur de mémoire 4 - Bernard MIRAILLES

Publié le par jo

Petites chroniques boulounencques (1954-1957) 4-1
Autour du clocher devoirs et tentations...
Nous fréquentons l’église lors des deux incontournables rendez-vous hebdomadaires : le catéchisme le mercredi, les offices le dimanche.
Le prêtre, le chanoine Moner, est un adorable vieillard d’une infinie bonté et d’une grande gentillesse ; j’aurai honte plus tard des mauvais tours que notre bande de garnements lui joue régulièrement et qu’il ne voit pas ou feint de ne pas voir.
Au catéchisme, il égrène placidement les chapitres du manuel ; ce livret, plutôt dogmatique, met l’accent sur l’enseignement de la forme sans réellement chercher à nous faire prendre conscience du fond du message religieux ; c’est du moins le souvenir que j’en retiendrai. Nous devons donc, à tour de rôle, apprendre par coeur tel ou tel chapitre et le restituer au vieux prêtre le plus fidèlement possible ; cet exercice mécanique et fastidieux ne poussera pas aux vocations !
Aux approches des communions, les séances deviennent heureusement moins monotones : on passe à l’étude des cantiques et, pour les futurs communiants, à la répétition des rituels de la cérémonie.
Chaque mercredi, donc, à midi, dès la sortie de l’école, les catéchumènes filent à toutes jambes vers leurs foyers, y expédient leur repas et repartent au pas de course vers l’église pour l’ouverture du cours de catéchisme à une heure et quart. A deux heures moins le quart, piaffant d’impatience, ils plantent là le prêtre et entament une nouvelle course pour ne pas rater la reprise des cours à deux heures précises. Pour ceux qui, comme nous, habitent à l’autre bout du village, c’est un petit marathon ; nous envions les chanceux qui habitent le vieux village, dans une des rues proches du trajet de l’église à l’école…
Sur ce trajet, tout spécialement à notre attention, Le Malin à placé une bifurcation d’apparence anodine ; la rue du Vieux Moulin (« el carrer del moli veil ») s’y détache de l’itinéraire balisé.
Cette rue n’est d’un bout à l’autre qu’une vertigineuse descente menant directement aux rives du Tech. Elle y débouche après s’être faufilée entre une vieille bâtisse autrefois moulin à eau et un atelier abandonné Là était aménagé un passage à gué avant la mise en service du Pont Suspendu. Les bords de la rivière sont un labyrinthe de mares envasées et de bancs de sable caillouteux, couverts d’épais buissons de saules et de micocouliers propices aux aventures C’est un des terrains de jeux favori des gamins du coin.
La tentation est donc grande, pour les auditeurs du catéchisme, de s’y fourvoyer plutôt que de rejoindre l’église. Cette tentation est attisée par les provocations d’une bande de mécréants qui, avant de dévaler vers le territoire interdit pour y dérouler exploration hasardeuse ou simulacre de bataille, font la haie sur le passage des « bigots » et les aspergent non point d’eau bénite mais de coquines railleries et de propositions malhonnêtes.
Après quelques échanges de propos fleuris, les uns filent en riant sous le clair soleil pour une demi-heure de poursuites échevelées, les autres entrent dans la fraîche pénombre des voûtes de l’église pour y ânonner sagement leur demi heure d’enseignement religieux.
Les jeunes consciences ne résistent pas toujours à cette épreuve ; ange gardien et diablotin s’y affrontent et, comme l’écrivit ce cher Monsieur de La Fontaine, « l’occasion et l’herbe tendre » font régulièrement leur oeuvre : un jour ou l’autre, l’un ou l’autre des « calotins » cueillera le fruit défendu !
Je ne serai pas l’exception ! Maman m’a pourtant très clairement signifié son interdiction totale et définitive de fréquenter les rivages du Tech, lieux maudits qui, dans la logique de son touchant protectionnisme maternel, ne peuvent mener qu’à la perdition. Mais, par une belle journée, au tout début du superbe été méditerranéen, le programme des jeux interdits me parait particulièrement alléchant et l’interdiction maternelle particulièrement frustrante.
Qui pourrait se rendre compte de ma défection ? Notre bonne pâte de curé ne compte jamais ses ouailles ! En outre, ayant exploré par anticipation plusieurs chapitres du manuel, je suis persuadé de pouvoir donner le change en cas d’interrogatoire serré. Je me trouve encore une bonne poignée d’excuses plus convaincantes les unes que les autres avant de me voter mentalement une indulgence plénière et de plonger avec délices dans le péché, à l’étonnement relatif de mes compagnons d’occasion…
Quelle magnifique demi-heure d’amusement ! Je m’implique dans l’aventure avec une sorte de frénésie, comme pour démontrer à un éventuel témoin de ma désobéissance qu’elle a une certaine justification puisque j’en tire autant de plaisir ! Et une petite voix me susurre, depuis le fond de ma conscience, que cette occasion ne se représentera pas de sitôt… Comme cette voix aura raison !
Je prends bien garde, malgré l’intérêt palpitant du jeu, à ne pas me faire surprendre par l’inexorable avance de l’horloge ; telle est ma prudence que je vais me retrouver en avance de quelques minutes devant la porte de l’école encore close. Je me fais rapidement absorber par les enseignements de l’après-midi et me retrouve presque surpris lorsque sonne l’heure de la sortie.
Je parcours en trottinant les dix minutes qui me séparent de la maison, vérifiant cent fois que mes vêtements ne portent aucun témoignage de ma désobéissance, me répétant aussi mentalement le traditionnel jeu de questions et de réponses qui accompagne chacune de mes rentrées du soir.
Dès mon arrivée, Maman, telle Fanny tournant autour de Césariot dans le film de Pagnol, m’entreprend d’une voix toute douce :
« Alors, l’école, c’était intéressant ? »
« C’était quoi, déjà, les matières de l’après-midi ? »
Je débite les réponses convenues, crispé d’abord, puis me détendant au fur et à mesure que les questions se font plus anodines et s’éloignent de l’objet du délit, étonné et lâchement soulagé finalement qu’il soit si facile de mentir.
« Et le catéchisme ? »
Je me bloque soudain. La question a été proférée sur le même ton badin que les précédentes mais j’y sens comme une sourde menace. Il faut cependant enchaîner ma réponse sans marquer la moindre hésitation suspecte :
« Oh, ça s’est bien passé aussi ; on a récité les leçons, puis on a chanté… »
« Menteur ! »
Le cri me saisit aussi fort qu’une claque.
« La mémé Tal-i-Qual t’a vu de sa fenêtre filer vers le Tech ! Qu’es-tu allé y faire ? »
Maudites commères ! Mais je n’ai pas le temps de les vouer au gémonies : je suis assailli par un feu nourri de questions. Maman cherche à discerner s’il ne s’agit là que d’une gaminerie, hypothèse finalement rassurante et sans réelle conséquence, ou si quelque entourloupe couve là dessous, ce qui l’inquièterait tout autrement. Et moi, je n’arrive qu’à bégayer des réponses sans queue ni tête…
Paradoxalement, l’indignation de Maman est telle que j’échappe à la correction qui serait la règle en pareil cas. Mais j’écoperai d’une mémorable série d’interdictions, de privations en tous genres et d’une masse de devoirs supplémentaires.
Et bien des années passeront avant que je ne m’aventure à nouveau sur les berges sablonneuses du Tech. Le jeu, tout bien pesé, n’en valait pas la chandelle...
Le programme ecclésiastique du dimanche est d’une densité aujourd’hui inconcevable pour une petite ville de quinze cents habitants :
- petite messe à huit heures ;
- grand messe à onze heures ;
- vêpres à quinze heures.
En période estivale, une petite messe peut s’y rajouter vers dix heures, célébrée à l’attention des curistes dans la minuscule chapelle qui domine le parc de l’Etablissement Thermal.
En semaine, la petite messe de huit heures du matin rassemble chaque matin, invariablement, une poignée de dames d’un certain âge, si ce n’est d’un âge certain ; rien ne semble pouvoir les empêcher d’y assister. A l’heure où le village s’éveille à peine on les voit se hâter, qu’il neige ou qu’il vente, vers l’église Sainte Marie ou la chapelle Saint Antoine, silhouettes frêles en général, la tête couverte d’une jolie mantille de dentelle, d’une longue écharpe ou d’un simple foulard.
Pour accompagner les offices du dimanche, le prêtre s’appuie sur quelques « escolàs » (enfants de choeur). Pour ceux qui, à l’époque, nous connaissent bien, cette expression vaut son pesant de sel !
Le petit groupe auquel je serai quelques temps intégré comprend :
- les deux cousins Surjus, Jean-Marie et Henri ; l’aîné est le plus âgé de nous tous et nous domine de sa carrure : c’est notre chef !
- Jean Faucon ;
- Georges Sabaté.
Dans les premiers temps de mon « sacerdoce », les enfants de choeur arborent pendant les offices une tenue « à l’ancienne » : chasuble de tissu moiré et surplis de vraie dentelle ; les chasubles sont d’un beau rouge vif à l’exception de celle du « chef », violet sombre.
A la suite de quelque concile, je suppose, ces tenues, dont je regretterai vraiment qu’aucune photographie ne puisse témoigner (les images ci-dessus sont tirées d’Internet), seront rangées au placard des antiquités et remplacées par de sobres aubes blanches.
Pour célébrer les petites messes, le prêtre ne requiert la présence que d’un seul « escolà » à moins qu’il ne décide de s’en passer.
Mais à la grand-messe et aux vêpres les enfants de choeur sont quatre, symétriquement répartis de part et d’autre de l’autel.
Le service n’est pas très exigeant : le chef (ou son suppléant, poste très convoité !) marque les principaux temps de l’office par de vigoureuses sonneries de clochette qui font se dresser, s’agenouiller ou s’asseoir toute l’assistance ; il faut savoir, le moment venu, jouer sans faux pas le ballet compliqué du passage des hosties et des burettes précédant l’offertoire et la communion et passer sans trébucher le lourd lutrin d’un côté à l’autre de l’autel.
Nous assurons également la quête, répartis en deux équipes : moitié droite - moitié gauche de la nef. Nous prenons ce dernier rôle très au sérieux, persuadés d’assurer le pain quotidien de notre « employeur » ! Et nous sommes consternés devant le maigre résultat de certaines collectes qui risquent selon nous de réduire à la famine le pauvre prêtre. Nous observons donc avec vigilance les manoeuvres des paroissiens. Si l’un d’eux ne donne rien ou donne trop peu par rapport à son rang social estimé, nous marquons le pas à sa hauteur, le fixant avec une douloureuse insistance. La plupart du temps, l’iconoclaste ignorera nos mimiques mais parfois il percevra notre muet message et se fendra d’un complément d’obole.
Le reste du temps nous jouons les figurants, tantôt agenouillés sur les marches de l’autel, tantôt assis dans les vieux bancs à pupitre, bayant aux corneilles, écoutant distraitement les envois et les répons de l’office en latin (nous en connaissons par coeur le rythme musical sans en comprendre un traître mot) ou détaillant le décor baroque de l’autel, les attitudes des statues ou les saynètes du chemin de croix, lorsque nous ne nous livrons pas en silence à quelque dispute…
Sur les chaises et les bancs de l’église subsistent les traces d’une tradition désuète : la location et le marquage des places assises. Ces places se repèrent par de petites plaques en laiton ou fer émaillé. La plupart sont très sobres ; quelques unes, cependant, affichent avec une certaine ostentation des textes et des encadrements ornés de savantes arabesques.
On y lit le nom de personnes oubliées, associant souvent, à la mode espagnole, le patronyme des deux parents. Soigneusement rangés à l’écart des bancs plébéiens se trouvent aussi quelques prie-Dieu à l’assise capitonnée de velours violet mais jamais quiconque ne vient s’y asseoir ou s’y agenouiller… Nos pures convictions de gamins sont choqués par ces marques d’appropriation au sein de la Maison de Dieu ; en réaction, nous prenons un malin plaisir à marquer dans le bois tendre, à l’ongle ou au canif, nos propres initiales. Si l’on en juge par l’état des tablettes, bien des générations ont fait de même avant nous. La vieille église, dans sa grande mansuétude, recueillera ainsi indifféremment en son sein tous les témoignages, qu’ils soient notoires ou anonymes, du passage de générations de fidèles…
A l’Ite Missae Est, nous filons à la sacristie nous dépouiller de nos oripeaux. Nous devons ensuite ranger rapidement les divers accessoires, récupérer les corbeilles de la quête et verser en bruyante cascade leur contenu de piécettes et de rares billets dans la cassette du prêtre. Selon son humeur et la qualité de notre prestation, il y prélève quelques sous qu’il nous distribue. Nous faufilant à travers les derniers fidèles qui s’attardent encore en papotant sur le parvis, nous filons vers nos foyers pour y savourer le repas dominical.
L’assiduité aux vêpres nous pose un grave problème de conscience : les horaires coïncident avec ceux des séances des deux cinémas : quinze heures pile !
D’un côté, être assistant aux vêpres présente un attrait assez particulier : être autorisé à manipuler l’encensoir, lourd ustensile en argent ciselé doté d’un complexe mécanisme de chaînettes.
La séance commence, avec une savante anticipation, par la mise à feu d’une petite pastille de charbon fritté. Après l’ignition, il faut souffler la flamme pour réduire la combustion à un point de braise, déposer la pastille au fond du bel encensoir et la recouvrir avec parcimonie d’une fine couche d’encens. Très vite, tandis que s’élèvent de fines et gracieuses volutes blanches, l’odeur lourde si caractéristique commence à se répandre dans la nef. Il faut alors imprimer à l’encensoir un lent mouvement de balancier : le faible courant d’air ainsi créé entretient la combustion de la braise et assure la diffusion des fumées et vapeurs d’encens. L’assistant, concentré sur cette mission essentielle, va suivre à petits pas le prêtre dans la longue séquence des stations du chemin de croix. Une prestation satisfaisante lui vaudra une gratification plus conséquente que celle de l’office du matin.
Mais pendant ce temps, sur l’écran du « Majestic » et de l’« Eden », John Wayne ou Victor Mature déchaînent applaudissements et trépignements d’enthousiasme au fil de leurs exploits, mais leurs aventures seront perdues sans espoir de retour pour l’officiant des vêpres ; tout juste pourront-ils en récupérer quelques miettes lors des narrations imagées de la récréation du lundi …
Donc, d’un autre côté, choisir le cinéma c’est profiter de l’unique occasion hebdomadaire de voir défiler un grand après midi d’images en mâchouillant goulûment un énorme « Malabar » à la fraise, confortablement calé dans un fauteuil moelleux en compagnie de la plupart des gamins du village. La séance inclut invariablement les actualités (les récepteurs de télévision sont alors rarissimes !), un documentaire souvent d’excellente qualité, un ou deux dessins animés, les publicités (Jean Mineur !), l’entracte et enfin le film.
Grand film d’aventures la plupart du temps qui entraînera toute la jeune assistance dans les méandres de son scénario, retenant son souffle, consternée de voir les « bons » acculés par les « méchants », huant copieusement ces derniers à chaque vilenie, trépignant de joie au renversement de situation et applaudissant à tout rompre quand se concrétise l’inévitable « happy end » !
Mais, en ces dimanches où l’attrait des affiches aura détourné de l’église ses fragiles assistants, le prêtre, après avoir philosophiquement constaté leurs désistements successifs, se résignera à officier sans eux. La conscience silencieuse de cette petite lâcheté arrivera tout de même à glisser quelques scrupules dans le plaisir des « escolàs »…
Ces joyeuses aventures d’enfants de choeur, qui auraient pu trouver place dans une séquence de Don Camillo, dérouleront leurs épisodes dominicaux jusqu’à ma communion, en mai 1958 (date retenue par l’histoire pour d’autres raisons...).
Je céderai alors ma charge d’enfant de choeur à de plus jeunes pour devenir un simple fidèle, plutôt assidu, jusqu’à ce que les états d’âme de l’adolescence et la découverte de la philosophie puis les éloignements successifs de mes lieux d’études rendent ma fréquentation de l’église du Boulou de plus en plus aléatoire.
En janvier 1971, par une journée glaciale, abasourdis de chagrin, nous y avons accompagné Papa pour son dernier voyage.
Fin juin 2004, dans la splendeur insolente d’un jour d’été méditerranéen, j’y prononçai pour une assistance recueillie un dernier message à l’adresse de Maman qui venait de nous quitter.
Ainsi soit-il !
-o-o-o-O-o-o-o-

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Y
Je suis infiniment reconnaissante de pouvoir lire ces belles lignes de souvenirs de Bernard Mirailles ; souvenirs partagés grâce aux récits de mes parents mais aussi, parce que dans les années 60, le Boulou que j'ai connu enfant, était quasiment resté le même que dans les années 50, pour notre plus grand bonheur ... Bonheur que nous retrouvons à travers ces écrits qui témoignent si bien à mon sens, de la vie du village d'alors. Merci et bravo à M. Mirailles pour son talentueux témoignage et à ce blog nécessaire.
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B
Bonjour Ysabelle.<br /> <br /> Je suis très touché par votre message et vous en remercie chaleureusement. C'est une grande émotion de réaliser que ces lignes, au départ écrites dans un but personnel, peuvent être partagées avec d'autre et faire résonner avec émotion ces lointains échos. Ceci grâce à l'amicale complicité de Christian Erre et Jackie Ferrer. Comme les arbres, notre sève a besoin de racines mais la vie moderne n'y prend guère garde. C'est donc un vrai plaisir de partager ces moments de mémoire.<br /> <br /> Prenez soin de vous, bien amicalement,<br /> <br /> En Bernat.<br /> <br /> PS : peut-être avez-vous fréquenté ma sœur Marie-Elise, née en 1960 et qui a fréquenté les Ecoles du Boulou ?