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passeur de mémoire 7- Bernard MIRAILLES

Publié le par jo

Festa Major

 

 

Deux grands rendez-vous festifs sont très attendus chaque année par la population boulounencque.

Y coïncidaient, comme dans beaucoup de villages de culture traditionnelle, des manifestations religieuses solennelles et ferventes et des manifestations profanes voire païennes très gaies et très animées.

 

Qu’il s’agisse de la fête de Saint Antoine, Patron du village, de Pâques, des Rameaux, de Pentecôte,
de l’Assomption ou de Noël, il y a toujours grande et belle affluence pour assister avec une foi apparemment sincère aux grand messes : on y étrenne souvent robe, costume ou manteau.

 

Ceci contraste singulièrement avec les dimanches « ordinaires » où le prêtre pleure parfois après ses ouailles ! Tout se passe comme si les fidèles jugeaient qu’il ne vaut pas la peine d’importuner le Seigneur par ces petits dimanches sans histoires et concentrer plutôt la force de son action de foi pour les grandes occasions ?

 

Au cœur de l’hiver, le 21 janvier, la Saint-Antoine (« Festa Major d’hibern ») est l’occasion du grand déballage annuel des forains dans les rues du centre du village.

 

Au cœur de l’été, le 15 août, La Sainte-Marie (« Festa-Major d’estiù ») est le témoin d’un beau concert donné sur la Place de la Mairie : aux sons de la traditionnelle « cobla », les danseurs déroulent en vastes rondes les gracieuses figures des belles sardanes.

 

La Saint Antoine

 

La semaine entourant la Saint Antoine voit le cœur du village colonisé par les attractions foraines et interdit de facto à toute circulation automobile. Tout au long de ces journées souvent très froides et parfois balayées d’une piquante tramontane, les badauds emmitouflés déambulent en grappes rieuses au milieu du vacarme des sonos mal réglées et des odeurs entêtantes de friture, de beignets ou de nougats. Ils se faufilent au travers de la foule compacte ou la bousculent en souriant, prêtant une oreille goguenarde aux bonimenteurs, cédant volontiers cependant aux tentations des gourmandises habilement proposées, tentant leur chance aux loteries, s’essayant aux jeux d’adresse, se défiant aux jeux de force, faisant la queue devant les manèges.

 

Un certain nombre de ces manèges, les « caballets », sont nettement destinés aux petits ou tout-petits : ils tournent en rond, l’air ravi ou apeuré, sous le regard fier de leur famille ; les plus dégourdis se contorsionnent pour décrocher le pompon que le forain agite sous leur nez : ils échangeront ensuite ce précieux trophée contre un tour supplémentaire et gratuit. Quelques photographes professionnels mitraillent opportunément de leurs flashes ces scènes naïves dont ils sont bien certains de revendre les clichés la semaine suivante aux parents attendris.

 

Adolescents et adultes se réservent pour les deux attractions qui forment traditionnellement le clou de la fête.

 

Au bas de la Rue Neuve, là où elle s’élargit en placette face à la maison de l’oncle Louis Puigbert, les autos tamponneuses installent leur lourde piste métallique, leur mystérieux grillage électrifié et leur peloton de petits bolides aux vives couleurs. A l’autre extrémité de l’étroite et tortueuse rue Neuve, sur une autre placette surplombant le Tech, le manège des « avions » fait tournoyer, monter et descendre vertigineusement, dans le vacarme des vérins hydrauliques, ses douze énormes bras supportant de frêles nacelles qui évoquent très vaguement de petits aéronefs biplaces.

 

Les joyeuses bandes vont d’un manège à l’autre dans une grande débauche de cris et de rires, se nouant et se dénouant au hasard des amitiés, des rivalités et des amourettes, roucoulades des « festejaires », minauderies des filles, bravades des garçons qui se défient à qui réalisera la manœuvre la plus osée, s’étourdissant de vitesse, de lumières et de bruits… et épuisant jusqu’au dernier centime tout leur argent de poche.

 

  

 

Que ce soit en famille, en 1955 puis vers 1960,

 

 

ou au « temps des copains ! » en 1963,
à la Saint Antoine, il fait toujours aussi froid !

 

 

 

 

Le samedi soir tout ce petit monde se retrouve à la salle des fêtes pour le grand bal. Dans une atmosphère surchauffée, alourdie par la fumée des cigarettes que nulle ventilation ne cherche à dissiper, les couples évoluent au rythme des pasodobles, javas, tangos et valses, gênés par les gamins qui se coursent à toute allure. Les amoureux espèrent les slows pour la bulle d’intimité qu’ils leur octroient. A la périphérie de la piste, quelques pâles silhouettes font « tapisserie », désespérant qu’un cavalier daigne les remarquer. Depuis la galerie en surplomb, les matrones observent d’un œil acéré tout ce petit monde, piquant d’un commentaire leste la formation de tel nouveau couple à l’issue d’une savante manœuvre d’approche…

 

Toute cette agitation se déroule dans une ambiance générale joyeuse, détendue et bon enfant.

Il y aura bien sûr un goût de gueule de bois le lendemain matin : les forains démontent leurs attractions et rangent leurs roulottes, faisant voler les monceaux de confetti et de serpentins, avant de s’en aller à la queue le leu, laissant les rues reprendre leur aspect habituel… Certes, la fête est finie mais, « caraï » !, on se sera rudement bien amusés ! Et, après tout, il n’y a qu’un an à attendre pour la prochaine !!!

 

15 août et sardanes

 

L’ambiance des festivités du quinze août est tout aussi joyeuse mais s’exprime dans un registre très différent.

 

D’abord, il n’y a pas d’attraction foraine. Toute l’attention des participants se concentre sur la place de la mairie autour de l’estrade dressée pour la « Cobla » : Combo Gili, Principal de la Bisbal, Cobla Perpinya… qui domine ainsi la foule des spectateurs et danseurs. La piste de danse est à même la rue, entourant le vieux mais majestueux platane qui a sans doute été un frêle « Arbre de la Liberté » 150 ans plus tôt.

 

Ensuite et surtout tout le spectacle est irradié par la chaleur et le superbe éclat du soleil d’été méditerranéen qui magnifie l’atmosphère, faisant exploser détails, mouvements et couleurs.

 

Devant une assistance captivée, complice, fervente, se met en place la ronde quasi allégorique des danseurs de sardane, la plupart en tenue « civile », quelques-uns vêtus avec soin de la belle tenue catalane traditionnelle, mais tous attentifs à bien poser leurs pieds en accord avec les premières mesures.

 

La flûte ou la clarinette lance la trille de l’envoi rituel dans un silence recueilli : chacun attend avec un petit frémissement les premières mesures qui permettraient de reconnaître le morceau choisi :
« La meva preferida », « Sota el mas ventos », « El saltiro de la cardina » ou surtout la « Santa Espina », véritable hymne national (que je ne peux aujourd’hui écouter sans que les larmes me montent aux yeux). Selon les cas, des murmures approbateurs ou désappointés marquent les réactions des connaisseurs.

 

Dans un étonnant synchronisme, tous les pieds de la ronde se mettent en mouvement, en avant, de côté, en arrière, suivant le rythme d’abord lent et presque solennel du prélude. Puis toute la cobla se lève d’un seul mouvement, les cuivres se redressent, les trompettes prennent leur souffle et, d’un coup, le déluge musical de l’andante déverse son flot de notes brillantes sur les spectateurs avant d’aller se répandre parmi les danseurs. Ces derniers ont anticipé la séquence en levant leurs mains jointes haut vers le ciel, comme dans une antique invocation ; dès la première note de ces portées sonores, les jambes se délient toutes ensemble pour dérouler leurs pas rapides, complexes et harmonieux, entraînant les corps dans ce sautillement si caractéristique de la danse nationale Catalane.

 

Les spectateurs, fascinés, communient avec les danseurs. Parfois, n’y tenant plus, l’un d’eux se détache de la foule pour se glisser dans le cercle magique qui l’absorbe sans un faux pas. La ronde s’élargit ainsi progressivement jusqu’à gagner tout l’espace disponible. Une partie des danseurs s’en détache alors pour former un nouveau cercle au cœur du premier, un troisième pouvant même y naître quelques instants. Et c’est un spectacle merveilleux et inégalé de voir ces trois rondes aller et venir au souffle des musiciens tels les rouages d’une fabuleuse horloge humaine. Les rondes finissent par entourer le grand platane ; le soleil éblouissant projette l’ombre clairsemée des branches sur les danseurs, ajoutant ainsi à leur mouvement sa propre dynamique de lumière.

 

Le temps ne compte plus. Les mouvements s’enchaînent, tour à tour en mesures lentes ou rapides ; musiciens, danseurs et spectateurs sont sous le charme. Puis, dans une dernière envolée des hautbois, le morceau s’achève. Un profond soupir s’exhale de l’assistance tandis que les danseurs s’immobilisent doucement, le regard perdu au loin comme au sortir de quelque extase.

 

  

Sardanes « d’amateurs »…

 

 

Certains quittent immédiatement les cercles pour aller reprendre leur souffle ou répondre à quelque invitation. D’autres, résolument campés, attendent de pied ferme l’envoi du morceau suivant. Entre les deux, les indécis jettent à droite et à gauche de petits coups d’œil, guettant quelque connaissance sur qui calquer leur comportement.

 

Le flûtiau lance derechef son trille aigrelet, un nouveau morceau révèle ses premières mesures et les danseurs, oubliant leur lassitude, portés par la musique, relancent leurs pieds agiles dans le ballet rituel sous le regard des spectateurs ravis…

 

 

Telles sont les superbes images, à peine idéalisées, que me rend ma mémoire quand je lui parle de « Festa Major » ou d’ « Aplec de Sardanas». Moi qui, malgré mon immense envie mais redoutant ma maladresse, n’ai jamais eu le courage de m’insérer dans le cercle magique !

 

 

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