Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

passeur de mémoire 6- Bernard MIRAILLES

Publié le par jo

L’Etablissement Thermal, ses jardins et ses parcs

Depuis la source des Alzines une belle allée continue vers l’Etablissement Thermal. Elle traverse un agréable bosquet puis longe une vaste prairie plantée d’oliviers (qui deviendra par la suite un terrain de camping). A ce niveau la route nationale n’offre qu’un bas côté étroit et accidenté, rendu dangereux par l’extrême proximité du flot de véhicules roulant à vive allure ; l’allée est donc préférée par la majorité des promeneurs.

Une fois sur place, deux options s’offrent à nous : soit rester du même côté de la route, soit traverser.

Sans traverser, nous avons accès au premier parc : aménagé sur un aplat de terrain, en légère déclivité vers la rivière de Maureillas qui le contourne d’un large méandre, il nous offre de vastes pelouses parsemées de quelques buissons, dominées de grands pins parasols, quadrillées d’un réseau d’allées au dessin irrégulier « à l’anglaise ». Il est très accueillant et propice à la détente des jeunes mamans encombrées de landaus, poussettes ou bambins au pas hésitant ; son manque de relief nous le rend cependant quelque peu insipide...

En traversant, nous nous retrouvons devant le portail d’accès à l’espace de cure. Dès ce portail franchi, s’ouvrent à nous, occupant tous les espaces entre les bâtiments, un damier de placettes et de massifs de fleurs ; au delà, c’est le deuxième parc, celui qui a très largement notre préférence.

Il y a même une troisième option : continuer le long de la route d’Espagne, mais elle n’est pas envisageable. D’abord, cela allongerait trop la promenade. Ensuite, la route devient encaissée, sinueuse, ses bas-côtés bordés de profonds fossés ne sont plus accueillants pour les piétons. Aucune aire de repos n’est accessible, sauf à escalader le talus ou dévaler le remblai. Toutefois, cette espace interdit excitera longtemps notre imagination car y plane l’ombre sinistre des « Trabucayres » dont Maman nous racontera plusieurs fois l’histoire. Ces bandits de grand chemin, dirigés par un certain Jean Sagols, se sont rendus tristement célèbres au XIXe siècle par une série de sanglantes attaques de diligences. Ils s’embusquaient, dit-on, dans le tronc creux d’un vieux chêne planté au droit du débranchement de la route du Perthus et de celle de Maureillas (une auberge, « Le chêne des Trabucayres », s’est d’ailleurs installée à cet endroit). Nous écoutions avec de délicieux frissons d’horreur la liste certainement exagérée de leurs tristes exploits. Ils furent finalement capturés sur dénonciation de l’un des leurs, jugés à Céret, condamnés à mort et guillotinés en place publique.

A cette sombre évocation viennent s’ajouter, pour faire bonne mesure, une ou deux horribles histoires de « bruxas » (sorcières) mijotant leurs sorts dans le creux de quelque combe oubliée.
La démonstration sera alors convaincante à nos jeunes yeux : cette endroit est maudit et il faut en rester éloignés !

Il en sera ainsi pendant nos jeunes années. Les années d’adolescence nous verront en revanche non seulement pénétrer dans la zone interdite mais aussi en explorer les moindres recoins ; nous dérangerons ainsi plusieurs fois des couleuvres pendant leur sieste, mais bruxas et trabucayres resteront définitivement tapis dans les ombres du passé…

Niché dans un petit vallon où les sources maintiennent toujours une certaine fraîcheur et permettent d’entretenir une relative densité de végétation, le grand parc de l’Etablissement Thermal est sobrement aménagé en allées et contre-allées marquées par des lignes de buis odorants sous l’ombre de jeunes platanes, en terrasses discrètes où l’on accède par de raides petits escaliers de pierres sèches, en placettes où l’on trouve les pavillons de dégustation des eaux à l’architecture gentiment désuète.

Partout, de mignons petits bancs se nichent discrètement dans la verdure, dévoués à accueillir le visiteur, soit pour une courte pause, soit pour une longue méditation somnolente.

Au fond de la reculée de ce vallon a été construite une forte muraille formant barrage qui retient les eaux d’un bassin dont la profondeur fait paraître noires les eaux. Ce petit lac abrite une abondante population piscicole, moitié de cyprins dorés retournés à l’état de carpes, moitié de diverses espèces indigènes apportées par les pêcheurs des bords du Tech, tous extrêmement voraces. Les enfants ne manquent jamais, lorsque une promenade au parc est prévue, de recueillir dans un vieux sachet tous les restes de pain de la maisonnée réduits en miettes ; dès que le bassin est en vue, ils se précipitent vers l’étroit belvédère et commencent à disperser les miettes à la surface, provoquant la ruée des poissons par vagues successives, depuis le menu fretin à l’agitation frénétique jusqu’aux carpes de fond, énormes et nonchalantes…

Au dessus du site du bassin, les rampes abruptes qui encadrent le vallon s’adoucissent pour rejoindre les molles ondulations des collines environnantes, le sol devient plus sec et la sage végétation de l’espace aménagé évolue rapidement vers un maquis broussailleux que seules de rares sentes permettent de traverser.

A la limite de ce maquis, sur un aplat de terrain, au milieu des chênes-lièges et des mimosas, se trouve une sobre petite chapelle ; elle permettait sans doute aux curistes d’assister à l’office sans avoir à « descendre » jusqu’au Boulou. Apparemment peu fréquentée, elle est cependant proprement entretenue et peut accueillir dignement, mais avec une peu de mélancolie, les offices de plus en plus rares qui s’y célèbrent encore.

Le parc entier est assez vaste ; il nous permet, en parcourant en tous sens allées, contre-allées, terrasses et recoins, en osant même des reconnaissances à la limite du maquis interdit, de nous créer un petit parfum d’aventure et, en faisant semblant de nous y perdre, de nous créer de délicieuses petites peurs. Mais rien qui puisse se comparer, si l’on en croit ses récits, avec les exploits tragi-comiques du cher Marcel Pagnol !

Nous ne nous attardons pas en général dans les jardins de la cure : leurs paisibles promeneurs recherchent plutôt le calme ; ils n’apprécient guère les courses et les jeux agités et le font nettement comprendre ! Plusieurs anecdotes souriantes resteront pourtant attachées à cet endroit.

Promenades …avec Mémé et Pépé devant la buvette, avec Jeannette et Françoise dans le parc,

Dans un haut mur de soutènement sont aménagées plusieurs niches bordées de grillage de poulailler ; ce grillage est sans doute destiné à supporter diverses plantes grimpantes. Mais Papa me raconte un jour que, dans son jeune temps, ces emplacements servaient de cage à plusieurs grands aigles. L’histoire me fascine et, après avoir d’abord regretté d’être né trop tard pour admirer ce spectacle, je me mets bravement à calculer quels travaux il faudrait réaliser pour ressusciter cette attraction.
Papa, souriant, ne cherchera jamais à me détromper…

L’Etablissement Thermal abrite à cette époque un bar où de petits orchestres se produisent parfois en soirée ; j’ai même, adolescent,  le souvenir d’un défilé de mode : dans la douceur suave d’une belle nuit d’été, telles de mythiques Dryades, une ribambelle de jeunes filles filiformes présentaient à un public admiratif des tenues arachnéennes...

La terrasse du bar se prolonge par une petite esplanade où de belles tables rondes, à piétement de fonte ouvragée et tablette de marbre blanc sont disposées sous les frondaisons de jeunes platanes, encadrées de chaises blanches ou vertes en fer forgé peint. L’après-midi, on peut encore s’y faire servir de délicieuses boissons gazeuses ; leur pétillement glacé dégage, au contact de l’atmosphère estivale, une petite brume de bon aloi.

L’esplanade abrite un autre trésor : un véritable «baby-foot» ; nous n’y jouerons pourtant qu’une seule fois. Tout commence bien ce jour-là et c’est avec empressement que j’accepte la compétition proposée par Papa. Je suis très intrigué par le mécanisme, déclenché par une vulgaire pièce de monnaie, qui libère des entrailles de l’engin une interminable dégringolade de balles de liège.

La partie commence ; en un clin d’œil, je suis mené cinq à zéro : Papa ne me laisse aucune ouverture ! Anéanti par mon impuissance, je fonds brusquement en larmes et m’enfuis de dépit, plantant là Papa quelque peu décontenancé par cette fin imprévue. Jamais ensuite nous n’aurons l’occasion de reprendre cette partie…

 

 

-o-o-o-O-o-o-o-

 

Commenter cet article